Depuis presque un demi-siècle, la mobilisation agricole tient du renouvellement de l'exploit. Battu jusqu'au caillou, si le chemin des revendications est de moins en moins fréquenté par les paysans, c'est car ils n'y croient plus. Car de promesses non tenues en mesures inapplicables, ils ont fini par se résigner ou par se détourner du métier. Un constat qui doit inquiéter les cadres du syndicalisme agricole, qu'ils gîtent rue de La Baume ou de La Boétie. Avec, en corollaire, 14 % du budget des ménages, soit presque autant que celui dédié aux technologies de la communication, consacré à l'alimentation contre 45 % au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Peu importe, d'ailleurs, à bien y regarder, d'où la nourriture arrive, tant, bien sûr, qu'elle ne vient pas à manquer.
Et c'est probablement sur ce point qu'il faut communiquer. Le challenge, si tant est qu'il puisse être relevé, consiste donc à expliquer pourquoi il faut absolument préférer la viande de l'Aubrac à celle d'Argentine et la tomate bretonne ou roussillonnaise à celle provenant du Maroc ou d'Andalousie. Avec, petit bémol, des productions importées qui sont produites à des prix défiant toute concurrence, dopées par le moins-disant social, fiscal et environnemental. D'où, pouvoir d'achat oblige, ce basculement inévitable, quand l'escarcelle sonne clair, vers les denrées importées au détriment de celles produites localement.
Concurrence insoutenable
Pour reconquérir le marché et pour la quasi-totalité des productions agricoles françaises, il faut donc relancer la compétitivité en imitant tout simplement ce que font nos concurrents, autrement dit en baissant les charges et, surtout, en évitant d'en imposer de nouvelles. Nous citerons à titre d'exemple le secteur des pêches et nectarines espagnoles qui est passé en vingt ans de 500 000 à 1,5 million de tonnes alors que, dans le même temps, en France, cette production dégringolait de 400 000 à 200 000 tonnes. Un phénomène imputable aux soutiens communautaires dont l'Espagne a bénéficié depuis 1992 au nom du rééquilibrage des régions d'Europe, aux distorsions salariales qui vont du simple au double selon que l'on se situe d'un côté ou de l'autre des Pyrénées et, entre autres subtilités, à une application à géométrie variable des règlements phytosanitaires.
Lorsqu'Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, s'inquiète de l'augmentation des importations, il doit s'inspirer de ce que les arboriculteurs, les vignerons, les maraîchers du pourtour méditerranéen français vivent depuis plus de trois décennies. De surcroît sans aucun amortisseur économique puisque, contrairement au secteur des grandes cultures, ils ne bénéficient d'aucune aide directe à produire et sont systématiquement confrontés aux aléas du marché. Il faut être fait d'un bois particulièrement dur pour résister à ce genre de compétitions déloyales sans soutien public, mis à part quelques subsides ponctuels qui n'ont, bien sûr, jamais permis d'endiguer, de Menton à Perpignan, l'extension des friches, la déprise rurale et sociale, l'effondrement des installations, la bérézina économique de milliers d'exploitations.
Pour comprendre ce qui est arrivé à ces secteurs de production et pour prendre la mesure de ce qui pourrait concerner ceux qui ont été, pour l'instant, à peu près épargnés, il suffit de se transporter en Provence, dans le Languedoc, en Roussillon et partout où la misère a remplacé le soleil, où le paysan fait désormais la circulation devant les écoles quand il n'est pas contraint de pousser un transpalette sur le quai de ceux qui se sont enrichis avec des marchandises importées.
Une loi pour des situations insolubles
Allez expliquer à ces gens-là que, pour s'en sortir, il faut une énième loi d'orientation agricole. Autant dire qu'il vaut mieux ne pas descendre de la voiture ! C'est ce que beaucoup de responsables politiques et professionnels ne veulent pas comprendre. En persistant dans la cogestion stérile et académique de situations insolubles, ils en deviennent inaudibles et contre-productifs. Idem avec la complaisance dont certains font preuve à l'égard des environnementalistes champions de la stigmatisation, du dogme coercitif et de la contrainte dévastatrice responsable du déclin agricole et de la désertification annoncée de nos campagnes.
Ces campagnes que le gouvernement compte revitaliser, avec une loi d'orientation millésimée 2024 axée sur la transmission et l'installation. Comment vont-ils s'y prendre, depuis Varennes, l'Élysée ou Matignon, pour convaincre ceux qui voient leurs parents s'endetter un peu plus chaque année s'entendre dire qu'ils seront désormais toujours trop chers, subir une juxtaposition de normes plus incohérentes les unes que les autres et se faire insulter dès qu'ils attellent l'atomiseur ou la tonne à lisier ?
Il ne suffira pas de s'adresser aux enfants gâtés qui idéalisent le métier parce qu'ils ont passé une semaine de vacances à la ferme du pépé, avant de partir militer du côté de Sainte-Soline ou d'aller saccager les serres d'un maraîcher nantais. Car ce n'est pas sur ces activistes qu'il faudra compter pour nourrir qualitativement et quantitativement, 365 jours par an et à l'horizon 2050, 9 milliards d'individus et 74 millions de Français.
Harmonisation
Pour faire court et pour économiser des mois de réflexions inutiles, la recette du sursaut agricole qui permettra de continuer à nourrir convenablement et durablement le consommateur a besoin de trois ingrédients : une harmonisation des charges avec l'arrêt des importations, y compris intraeuropéennes, provenant de pays qui bénéficient de coûts de productions dérisoirement bas, socialement inacceptables et ne respectant pas les mêmes normes que celles imposées à nos paysans. La suspension immédiate des contraintes administratives et agronomiques obtenues par les écologistes à l'encontre de nos productions nationales, tous secteurs confondus. L'arrêt des émissions diffusées par les chaînes du Service public systématiquement orientées écologiquement et, de facto, à charge contre l'agriculteur français.
Car si les syndicats et le gouvernement veulent vraiment remettre l'agriculture au cœur du débat, ils doivent, en priorité et sans délai, la protéger, ne plus la taxer et la faire respecter.
*Jean-Paul Pelras est écrivain, ancien syndicaliste agricole et journaliste. Rédacteur en chef du journal L'Agri des Pyrénées-Orientales et de l'Aude, il est l'auteur d'une vingtaine d'essais, de nouvelles et de romans, lauréat du prix Méditerranée Roussillon pour Un meurtre pour mémoire et du prix Alfred-Sauvy pour Le Vieux Garçon. Son dernier ouvrage, Bien chers tous, est paru aux Éditions MBE (Aubrac/Espalion)
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